Nous connaissons tous le principe de Peter qui permet aux incompétents d'occuper un poste surévalué. En revanche, l'effet Dunning-Kruger qui tire son nom de deux professeurs américains de psychologie est nettement moins célèbre. Pourtant, l'utilité de cette étude est tout aussi pertinente que celle de Peter. Tout d'abord, commençons par la genèse. David Dunning et Justin Kruger apprennent en 1995 que Mc Arthur Weeler avait dévalisé à Pittsburgh en Pennsylvanie deux banques à visage découvert et en plein jour. Comment ce dernier avait-il pu croire qu'il resterait longtemps impuni ? Il fallait une sacrée dose d'outrecuidance pour se croire supérieur à ce point. L'étude de Dunning et Kruger permit 4 ans plus tard de faire paraitre une étude dans la revue américaine « Journal of Personnality and Social Psychology ». La conclusion de celle-ci faisait apparaître un biais cognitif selon lequel les moins qualifiés dans un domaine surestiment leur compétence. Les gens s'imaginent plus intelligents et plus compétents qu'ils ne le sont réellement, surtout les personnes à faible capacité qui ne possèdent pas les compétences nécessaires pour reconnaître leur propre incompétence. La combinaison d'une faible conscience de soi et d'une faible capacité cognitive les conduit à surestimer leurs propres capacités.

Comme le rappelle le journaliste Guirec Gombert[1] : « Une autre étude menée auprès de 30 000 employés permet de mieux comprendre ce phénomène. Interrogés sur une douzaine de questions, ils devaient aussi répondre à "Je sais si ma performance est ce qu'elle devrait être". Résultat : seulement 29% des employés étaient capables de répondre qu'ils savaient "toujours" où ils en étaient contre 36% qui ne déclaraient « jamais » ou "rarement". Si vous pensez de vos collaborateurs qu'ils sont en pleine théorie de Dunning et Kruger, c'est peut-être aussi que le style de management de l'entreprise les laisse dans leur ignorance. En faisant des retours réguliers à ses équipes, il est donc déjà possible de lutter contre ce biais. »

L'effet Dunning-Kruger donne un nom scientifique et une explication à un problème que beaucoup détectent immédiatement : « Les imbéciles sont aveugles face à leur propre folie ». Cette découverte ne date pas d'hier, puisque Charles Darwin l'avait évoqué dans son ouvrage La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe : « L'ignorance engendre plus souvent la confiance que la connaissance. »

Lors de leur expérience, Dunning et Kruger ont demandé à 65 participants d'évaluer le degré d'humour concernant des plaisanteries choisies. Certains participants étaient incapables de déterminer ce que les autres trouvaient drôle. Pourtant, ces mêmes sujets se décrivaient comme d'excellents juges concernant l'humour.

Les chercheurs constatèrent que les personnes incompétentes n'engendraient pas seulement de mauvaises performances, elles étaient également incapables d'évaluer avec précision et de reconnaître la qualité de leur propre travail. Au même titre que les personnes peu performantes étaient incapables d'évaluer le niveau de compétence des autres personnes. C'est ce qui explique en partie pourquoi elles se considéraient toujours supérieures et mieux informées que les autres. (Suite dans le livre...)



[1] « L'effet Dunning-Kruger, ou quand les plus mauvais se croient doués » https://tinyurl.com/cadreo-GuirecGombert