Les dernières recherches sur l’épigénétique ont démontré l’influence sur notre ADN de notre environnement ou encore le type de relation sociale que nous entretenons. Le rapport que nous avons avec l’argent est en lien direct avec notre structure mentale. Cela influence notre rapport aux autres et principalement notre attitude face au pouvoir. Donnez à quiconque la puissance financière et observez son attitude, elle sera transformée. Ce n'est pas uniquement le résultat de l’aisance matérielle, c'est le résultat de l'épigénétique. Les mutations s'effectuent de manière biologique.

Le psychologue, Jérôme Lichtlé[1] affirme que dans certaines sociétés dites primitives, l’apprentissage des comportements est encore solidement lié à la nourriture, l’eau, la stimulation sexuelle, et plus globalement à ce que l’on nomme des renforçateurs primaires. C’est-à-dire que tous les comportements qui les produisent sont fortement maintenus quel que soit l’individu, car ils sont nécessaires à notre survie. Un exemple simple : n’importe quel individu assoiffé boit le verre d’eau qu’on lui tend. L’eau est un renforçateur primaire. Les renforçateurs dits primaires consolident donc nos comportements du fait du résultat de l’évolution de notre espèce.

Les choses se compliquent avec les renforçateurs dits secondaires. Contrairement aux renforçateurs primaires, les renforçateurs secondaires n’ont au départ aucune propriété renforçante. On dit qu’ils sont acquis par apprentissage… Nos sociétés modernes sont gavées de renforçateurs secondaires : le vélo, la natation, le ping-pong, les jeux vidéo, l’i-pad, Facebook, les vêtements, les voitures, les cigarettes, les activités culturelles, les voyages, les sourires, le succès, la tendresse, la reconnaissance, etc.

Comment les renforçateurs secondaires peuvent-ils consolider nos comportements au même titre que les renforçateurs primaires, alors qu’ils n’ont au départ aucun intérêt pour notre survie ?

« Cette expérience des effets renforçateurs primaire et secondaire de l’argent démontre très clairement l’influence de l’argent chez l’humain et surtout la sacralisation qui en découle. »

Des chercheurs ont réalisé une expérience avec des chimpanzés utilisant comme renforçateurs secondaires des jetons en plastique qu’ils obtiennent en travaillant. Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont montré à plusieurs reprises aux chimpanzés comment utiliser ces jetons dans un distributeur de nourriture. Une fois que les chimpanzés avaient compris le principe, les chercheurs ont pu les faire travailler pour obtenir des jetons. Ces jetons en plastiques qui ne représentent a priori rien ou presque pour les chimpanzés, une fois associés au renforçateur primaire (la nourriture), amènent les animaux à travailler dur pour en obtenir.

C’est donc par association répétée avec des renforçateurs primaires que ces vulgaires jetons en plastique ont acquis une valeur renforçante. Dans cette expérience, les jetons en plastiques sont pour le singe une monnaie d’échange, comme l’argent. Mais l’argent est un renforçateur secondaire qui a une place à part dans nos sociétés. Bien que l’on ne puisse pas tout acheter, l’argent donne en effet accès à une grande variété de renforçateurs primaires et secondaires. On dit que l’argent est un renforçateur généralisé. C’est même LE renforçateur généralisé par excellence.

Les renforçateurs généralisés tel que l’argent, sont fortement détachés des renforçateurs primaires. Car bien que l’argent puisse être échangé contre des renforçateurs primaires, il peut surtout permettre d’obtenir une quantité presque illimitée de renforçateurs secondaires comme le prestige, l’attention, l’approbation, le statut ou le pouvoir. Par conséquent, une propriété particulière des renforçateurs secondaires, et encore plus de l’argent, est qu’ils perdent moins vite leur valeur de renforcement par rapport aux renforçateurs primaires : si l’on demande à des animaux d’effectuer certains exercices pour obtenir de la nourriture, ils cesseront leurs activités dès qu’ils n’auront plus faim. Par contre, on a pu constater que les chimpanzés avaient tendance à accumuler leurs jetons en plastique quel que soit leur état de privation alimentaire. C’est pour cette raison que certaines personnes accumulent de l’argent, même si tous leurs besoins sont satisfaits, dans le seul but d’en posséder.

C’est donc par un mécanisme d’association entre des besoins vitaux et des comportements ou biens a priori inutiles, que se forment des besoins de possession qui n’existaient pas a priori. C’est cette association qui nous donne la « sensation » que des biens nous sont nécessaires. Ce mécanisme est donc le fruit d’un apprentissage. C’est ce que l’on appelle, en d’autres termes, un conditionnement du besoin. Il est inhérent aux êtres vivants, et par conséquent, il est difficile d’y échapper. »

Lorsque nous parlons de finance, il s’agit en réalité moins d’économie que de soumission à un système généralement reconnu et accepté. Prenons un exemple similaire. Depuis 2000 ans, une majorité d’humains en occident a adopté une religion qui repose sur un fétichisme réifiant. La confusion qui existe dans le christianisme catholique entre Dieu, son fils et le saint esprit, s’est infiltrée jusque dans notre pensée économique. La représentation puis la matérialisation du créateur en un être de chair fait homme en la personne de son fils n’est pas neutre sur l’incidence de notre rapport économique. Nous avons besoin de voir, de toucher pour croire. C’est pourquoi, depuis aussi longtemps, notre système financier et politique s’est structuré de la sorte. Toute abstraction financière est de nature inquiétante pour le citoyen moyen. Il n’a pas compris que l’argent n’était qu’une idée collective non chosifiable, une projection qu’il se fait. Il devient réel lorsqu’il peut le toucher, le compter et là, le miracle opère, il sait que l’argent est vrai. C’est probablement ce qui explique que ce dernier est devenu la nouvelle divinité. Il s’agit en quelques sortes de nos jetons plastiques, ceux par lesquels nous créons nos renforcements généralisés... (Suite dans le livre...)

[1] Source intégrale de cet article : « Dans vos têtes » - France Info le 28/01/2014