Entre 1960 et 1963, le psychologue américain Stanley Milgram[1] soumit mille américain(e)s à une prétendue expérience sur la mémoire. Pour 4 dollars de dédommagement ainsi que 50 cents pour les frais de déplacement, le candidat devait envoyer à son partenaire des décharges électriques de 15 volts en 15 volts jusqu'à 450 volts, en guise de punition lorsque celui-ci répondait de manière erronée aux questions posées. Le but caché n’était évidemment pas l’étude de l’influence de la punition électrique sur la mémoire. Il s’agissait de soumettre des individus comme vous et moi à une situation extrême de soumission à l’autorité. Jusqu’où sommes-nous capables d’obéir aux injonctions d’une autorité jugée légitime, de surcroît dans un cadre scientifique et médical ? Milgram voulait étudier si la cruauté d’américains de base était comparable à celle des allemands durant la dernière guerre mondiale.

Le résultat créa un « électrochoc » dans les milieux scientifiques. Deux personnes sur trois s’étaient soumises et avaient obtempéré en poussant les curseurs jusqu’à 450 volts. De bonnes mères de familles, de pieux chrétiens ou de braves juifs, avaient été capables au nom de l’autorité médicale, de torturer un candidat innocent, qui suppliait avec véhémence qu’on arrête l’expérience.

Chacun se dit naturellement : « Si j’avais participé, aucune chance de me faire piéger, j’aurais fait partie des 38 % de gens conscients et fraternels », ou encore « Tout cela, c’est du passé. Le flot d’information continue, sans parler des sempiternelles commémorations des génocides, massacres et autre shoah ont fait de nous des êtres conscients et informés ». Ne soyons pas outrecuidants !

Pour s’assurer que nous sommes enfin devenus civilisés, France Télévision en 2009, a mené une expérience similaire, grâce à une émission fictive de TV, intitulée « La Zone Xtrême ». Le principe était le même, des candidats face aux curseurs, un complice enfermé dans un caisson qui feignait la douleur de la torture … la différence principale résidait dans les expérimentateurs. La présentatrice de France Télévision remplaçait le professeur en blouse blanche, le plateau TV s’était substitué au laboratoire de Yale, et un public déchaîné stimulait les candidats timides. Contre toute attente, le résultat fut encore plus stupéfiant. Quatre-vingt-un pour cent des candidats poussèrent les curseurs jusqu’à 450 volts.

On peut noter que depuis 50 ans, de nombreuses expériences de ce type furent reproduites dans diverses zones du monde (Italie, Jordanie, Allemagne de l'Ouest, Afrique du Sud, Autriche, Espagne et Australie). Pour sa part, ABC News avait refait l’expérience de Milgram en 2006 avec des résultats tout aussi effrayants (65 % des hommes et 73 % des femmes avait obéi jusqu’au bout).

Autre exemple, en 1967 au lycée Cubberley de Palo Alto (Californie), l’expérience de Ron Jones, nommée « La troisième vague » qui reposait sur l’étude expérimentale du fascisme est tout aussi inquiétante. En une semaine, le professeur d’histoire transforma de dociles et démocrates élèves en tortionnaires, prêts à déclencher une troisième guerre mondiale.

Nous pourrions décliner durant des heures les expériences de ce type qui démontrent que notre libre arbitre est aussi solide qu’un château de sable.

Les dangers de ce que nous nommons assez injustement démocratie, sont le produit d’un relâchement de notre vigilance. Lorsque nous déléguons à un pouvoir politique nos responsabilités d’humain, le navire change immanquablement de cap. Lorsque nos valeurs de progrès et d’humanisme sont remplacées par des valeurs boursières ou des taux d’audimat, on peut parier que lors de la prochaine expérience, le niveau de soumission sera encore plus élevé.

Si vous voulez comprendre comment des êtres qui nous ressemblent ont pu être capables de se soumettre à ce point, il faut de se replonger dans l’étude de Milgram. Selon le chercheur, le grand coupable se nomme « l’état agentique ». Selon lui, l’individu n’est plus aux commandes de sa conscience, il exécute la volonté d’une autorité qu’il juge légitime. La phrase magique prononcée par le Pr Stanley Milgram ou par l’animatrice Télé Tania Young, fut : « …continuez, nous prenons toutes les responsabilités… ». Comment pouvons-nous vivre ensemble durablement si nous ne sommes pas dans la conscience de nos responsabilités envers les autres, envers notre terre, envers nous-même ? (Suite dans le livre...)



[1] (15 août 1933 à New York - 20 décembre 1984 à New York) Psychologue social américain. Outre l'expérience sur la soumission l'autorité. Il est considéré comme l'un des psychologues les plus importants du XXème siècle